C’est un memento mori, en forme de pochette surprise.
Le même plaisir, pur, d’y goûter à 17 titres qui pétillent sous la langue, collent ou explosent dans le
fond du palais. La même joie, enfantine, d’y trouver toutes sortes de rythmes et de couleurs. Mais
aussi une mélancolie, à mesure qu’on les découvre et les savoure, de sentir qu’on s’approche de la
fin du paquet. Et chaque minute de musique, en même temps qu’elle nous élance, nous atteint. Car
ce qui différencie Philippe Katerine de sa chienne Zouzou (qui donne son nom au disque) c’est sans
doute ça : la conscience, affutée et drôle, profondément musicale, que l’artiste a du temps qui passe.
De nos vies en sursis.
Sur l’irrésistible Joyeux anniversaire, morceau soul conduit par une guitare électrique, et
zébré de voix d’ami.e.s, Katerine nous rappelle d’ailleurs qu’on a jamais été plus proche de la mort,
et là vous êtes plus proche, là encore… D’ailleurs, continue-t-il, avec ou sans gluten, personne n’en
sortira vivant (Bonifacio). Ailleurs encore : rien n’est comme avant, ça change tout le temps, c’est
ça qui est effrayant, c’est ça qui est excitant (Frérot). Un sens de l’impermanence, redoutable, qui
n’est pas une raison de déprimer mais, au contraire, de vivre d’humour et d’eau fraiche.
Comme disait l’autre, quand il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de pro-
blème (Comme disait ma petite soeur). Et tout au long de nouveau disque, on retrouve donc l’œil vif
et la malice désarmée d’un Katerine - aussi comédien, dessinateur et artiste plasticien -
, qui depuis
le début de sa carrière kaléidoscopique, a toujours fait de ses propres limites un moteur, et de son
sourire un combustible. Et un vecteur d’amitié.
Pour composer et arranger ce onzième disque, Philippe Katerine s’est entouré des complices de sa
tournée précédente : le multi-instrumentiste Adrien Soleiman, et Victor le Masne. Tous partagent legoût d’associer les machines et les corps, les synthés et les cordes, les effets et le nu. Autres musi-
ciens convoqué ici : Flavien Berger réalise le doux titre woolfien Une chambre à moi, quand la
propre fille de Philippe Katerine, Edie Blanchard, chante sur la bien nommée Chanson d’Edie —
astucieux morceau d’imitations, qui permet de condenser tous les featurings de l’album en un titre,
puisqu’Edie y rassemble toute la scène pop actuelle dans sa propre voix et, avec malice, parvient à
faire dialoguer Angèle, Clara Luciani ou Zaho de Sagazan.
L’ironie et la tendresse, ensemble.
C’est que Philippe Katerine aime les connexions improbables entre les registres, les langues
et les générations. Il propose ici une alliance entre une balade canine et de la French Touch (Zou-
zou), un prélude de Bach et une lettre à sa verge (Que deviens-tu) ou encore la Zumba et ses racines
Vendéennes (Total à l’Ouest). Une curiosité, un sens du trouble, qui n’empêchent pas l’émotion
d’affleurer. Car chez Philippe Katerine, l’outrance n’est jamais que la politesse de sa pudeur.
Sans prévenir, entre un jappement de sa chienne et les voix de ses enfants, le souvenir d’un
café - et d’une jeunesse - perdu serre soudain le coeur. Chez Philou (el Café bar), l’amitié régnait -
et ça fait chier de devoir conjuguer ça à l’imparfait. Bien sûr, un jour, tout finira : la vie d’une
chienne, nos vies de chiens. Mais il nous restera les histoires, les musiques et les mots qu’on s’est
adressés. Il restera les images qu’on se laisse, les disques et puis le cinéma — et Zouzou se clôt sur
un titre hanté, où l’on devine des voix amies, le souvenir d’un tournage, et où les cordes et autres
instruments à vent se chargent d’emporter le reste.
C’est la vie qui passe, c’est l’horizon qui s’ouvre — zou !